La patria médiévale vue d'Allemagne, entre construction impériale et identités régionales

Monnet, Pierre (2001) La patria médiévale vue d'Allemagne, entre construction impériale et identités régionales. Le Moyen-âge. Revue d'histoire et de philologie, 107 (1). pp. 71-99. ISSN 0027-2841

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Abstract

En posant cette question, chacun pense trouver d'abord des réponses dans le célèbre article "Mourir pour la patrie" rédigé en anglais en 1951 par Ernst Kantorowicz. Il faut reconnaître que c'est en grande partie sur ou en réaction contre les bases conceptuelles et terminologiques jetées par l'auteur de "Frédéric II" que la recherche allemande a poursuivi ses interrogations, appliquées d'ailleurs tant à l'Empire qu'au royaume de France, quant au contenu, à l'évolution, à l'emploi et aux déformations que ce mot a connus dans les Etats et territoires de l'Occcident médiéval. Evolution suivie depuis le rappel de son sens gréco-romain, puis sa redéfinition à la faveur du grand rassemblement carolingien pour aboutir enfin à des variations sémantiques et symboliques imputables en partie aux constructions politiques et idéologiques différenciées qu'ont engagées souverains de France et rois allemands. A considérer l'ensemble des travaux récemment produits sur le sujet, on peut constater dans un premier temps que l'étude du terme et de sa fonction politique suit à peu près parallèlement celle de la natio, en ce sens que l'historien se trouve confronté à un choix entre une théorie de la continuité ou un processus transcendant. Afin de baliser le débat, nous partirons de quelques réflexions inspirées par l'observation du terme en aval, c'est-à-dire au Moyen Age tardif, particulièrement à partir de la "Vita" de l'empereur Charles IV et de l'acception que des humanistes ont pu donner au mot. On constatera que la patria garde alors tout son ambivalence, sa charge émotionnelle, hésite entre l'espace et le sacré et attire à lui tant l'origine que la naissance, tant la langue que le destin commun. Cette constatation impose de remettre à plat dans un premier temps les grandes lignes de la pensée kantorowiczienne: naissance de l'Etat par la perpétuité, pouvoir charismatique du souverain, dilatation faite de translation et d'imitation du "public" par une émotionnalisation, une mystique et une sacralisation de ses attributs, production intellectuelle d'une théologie politique. A partir de cet ensemble, la thèse de Thomas Eichenberger, marquante à plus d'un titre ("Patria. Studien zur Bedeutung des Wortes im Mittelalter (6-12 Jahrhundert)", 1991), sera examinée et discutée. Elle observe, comme Kantorowicz le fit en son temps, les mécanismes et les implications d'une "descente sur terre" de la patrie céleste et chrétienne et plonge en quelque sorte la notion dans le bain royal, princier et territorial d'un Occident recomposé par l'Empire carolingien et son morcellement, c'est-à-dire confronte la notion aux imperatifs et limites des regna, des gentes et de l'imperium. En prenant appui sur ses conclusions, nous montrerons qu'il faut sur certains points approfondir une de ses hypothèses qui tient à la constatation selon laquelle, contre toute attente, le mot n'a pas été relégué dans un sens archéologique, voire archaïque, ou en tout état de cause carolingien et tout au plus "prénational", mais s'est enrichi de telle manière qu'il continue à demeurer d'une grande actualité au XIIIe siècle et à constituer un facteur créateur d'ordre spatial et mental. De ce point de vue, les acquis de la recherche allemande concernant le royaume capétien seront d'un grand secours. Nous les synthétiserons à l'aide de l'étude fondamentale consacrée par Bernd Schneidmüller au "Nomen Patriae. Die Entstehung Frankreichs in der politisch-geographischen Terminologie (10-13 Jahrhundert)" (1987). Etudiant le processus qui conduit en France à une synthèse progressive entre Patria, Gallia, Francia et Rex, constellation achevée au moment où la réception du droit romain enrichit les doctrines de la souveraineté, l'auteur jette par comparaison un regard sur l'Empire dont l'évolution atteste au contraire que les principautés constituèrent le meilleur refuge à la patria investie d'un sens géographique, souverain et symbolique adéquat, principautés constituant, au terme de l'acte fondateur de la Bulle d'Or de 1356, le rempart le plus sûr de la "nation" allemande. En évoquant les prolongements possibles d'une étude de la notion de patria, particulièrement en direction de son écho dans l'historiographie médiévale, de sa contribution à une histoire des préjugés, de son lien possible, pensable et même nécessaire avec la problématique de la memoria ainsi que de sa contribution à une histoire renouvelée des relations internationales au Moyen Age (mais aussi des frontières...) ; nous conclurons provisoirement sur l'apport de l'étude de la notion de patria à l'histoire politique en général et à l'observation des liens sociaux en particulier. Car il convient de souligner la nécessité d'une prise en compte des groupes sociaux impliqués dans son emploi tant il est vrai que des identités politiques rapportées à des espaces géographiquement déterminés et historiquement ancrés dans une conscience modelée par une histoire, des valeurs, une culture et une langue communes sont d'abord affaire de ceux qui vivent ensemble, dans un régime accepté de concert et qui mérite, à leurs yeux, en cas de nécessité, qu'on se scarifie pour son représentant ou les principes sur lesquels il repose. Modernité de l'histoire médiévale...

Tipologia del documento: Articolo in rivista
Soggetto: D History General and Old World > D History (General) > D111 Medieval History
Depositato da: dr Vincenzo De Luise
Depositato il: 03 Apr 2015 15:33
Ultima modifica: 24 Apr 2015 18:28
URI: http://www.rmoa.unina.it/id/eprint/2193

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